Publié dans Valeurs Actuelles, par Patricia de Sagazan, photo © Sébastien Ortola / Rea

En seulement trois années de vie politique, l’ex-directrice générale d’Endemol Monde a connu la campagne « joyeuse » et victorieuse des municipales en 2014, celle, « galvanisante », bien que perdante, des régionales en 2015, et découvert la « violence » de la course à l’Élysée.

Les Républicains. Nouvelle venue en politique, elle était promise à la mairie de Bordeaux. Depuis que les amis d’Alain Juppé lui barrent la route, la course à la présidence des Républicains pourrait s’ouvrir à elle.

« Virginie Calmels, qui est la juppéiste de service, me représentera au comité politique des Républicains… Vous êtes toujours juppéiste, Virginie ? » La pique, cinglante, est signée Alain Juppé. Nous sommes le 6 mars. Le maire de Bordeaux, à l’issue d’une conférence de presse, vient d’enterrer les espoirs de ceux qui pensaient qu’il pourrait être le plan B de la droite pour l’élection présidentielle. À sa gauche, sa première adjointe esquisse un sourire gêné. Un ange passe. Le malaise et la défiance, depuis, ne font que grandir dans le petit cercle des amis de l’ancien Premier ministre. « Son fillonisme zélé durant la campagne a exaspéré Juppé », confie un élu girondin. Ce proche du maire de Bordeaux doute même qu’elle hérite un jour des clés du palais Rohan, qui lui étaient pourtant promises. Pour Bruno Retailleau, ce procès en trahison que certains intentent à Virginie Calmels est injuste et témoigne au contraire de « sa loyauté à l’égard du candidat choisi par les militants et de sa fidélité à Alain Juppé ».

En seulement trois années de vie politique, l’ex-directrice générale d’Endemol Monde a connu la campagne « joyeuse » et victorieuse des municipales en 2014, celle, « galvanisante », bien que perdante, des régionales en 2015, et découvert la « violence » de la course à l’Élysée. Si elle se dit « écœurée » par les coups bas et autres manœuvres florentines, elle est bel et bien décidée à poursuivre l’aventure politique, tout en gardant un pied dans l’entreprise (elle est actuellement membre des conseils d’administration d’Iliad et d’Assystem). Certains la verraient même prendre des responsabilités au sein des Républicains. Numéro deux du parti ? « L’hypothèse n’est pas absurde », selon un proche de Wauquiez. « Cela dépendra de la ligne et du casting de l’équipe », répond Virginie Calmels. Un conseiller de l’ombre lui souffle même de présenter sa candidature à la présidence du parti : « Elle ne doit pas rater cette occasion ! Elle est femme, jeune, issue de la société civile. Son profil est convoité. Si elle se déclare, elle aura l’appui des modérés. Même avec 25 %, elle existera politiquement. » « Après les renoncements de Valérie Pécresse et Xavier Bertrand, il y a un espace politique qui devra bien être occupé… », concède Bernard Accoyer.

Virginie Calmels a toujours dérangé. Au sein de la petite bande du Concorde, nom du café parisien où se réunissent les juppéistes, dès 2014, pour préparer le programme de leur candidat, celle qui fait figure de novice en politique irrite les principaux lieutenants d’Alain Juppé. Ils évoquent volontiers « son tempérament abrupt et son côté donneuse de leçons forte d’une réussite professionnelle incontestable ». Gilles Boyer et Édouard Philippe ne sont pas les derniers à se montrer critiques. L’ex-grande prêtresse du Paf, parachutée première adjointe à la mairie de Bordeaux quelques mois plus tôt, est perçue comme un danger par une partie de l’équipe. Sa proximité avec le chef inquiète. « En politique comme ailleurs, tout nouveau venu apparaît comme une menace pour certains, une chance d’enrichir l’équipe pour d’autres », tempère un de ses membres qui a apprécié « sa nouveauté, sa fraîcheur et parfois sa naïveté ».

Déflagration et Rubicon

Virginie Calmels ne s’en laisse pas conter, tient tête à ses détracteurs. Édouard Philippe, le futur Premier ministre, défend ardemment le concept d’« identité heureuse » qu’il a soufflé à Alain Juppé. Virginie Calmels, à l’inverse, en souligne la faiblesse. Fin 2015, alors que toute l’équipe concentre la stratégie sur un duel avec Sarkozy, elle les alerte sur l’émergence probable d’un troisième homme dans une France qui a soif de renouveau. En vain. Ses remarques sont balayées d’un revers de main. On connaît la suite, la victoire de François Fillon à la primaire de la droite et du centre, puis l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République, qui achève de dynamiter les vieux partis.

La déflagration ne manque pas d’atteindre les Républicains. Le parti se lézarde davantage encore après la nomination d’Édouard Philippe à Matignon. Il entraîne dans son sillage ses amis, les “constructifs”. Juppéisme semble rimer alors avec opportunisme. Virginie Calmels, elle, ne transige pas. Elle reste aussi droite dans ses bottes que l’est son mentor : son camp est chez Les Républicains. Elle croit en un État fort et puissant recentré sur ses missions régaliennes : défense, sécurité, mise en place de quotas d’immigration, durcissement des règles du regroupement familial, augmentation du nombre de places de prison, recours aux peines planchers… Laurent Wauquiez pourrait signer des deux mains. À quelques nuances près : cette catholique revendique le droit à l’adoption pour les homosexuels comme le mariage pour tous. Une ligne que promeut son mouvement DroiteLib’ (plus de 10 000 adhérents, selon ses dires), missile anti-Macron lancé à Bordeaux, le 25 janvier dernier, en présence d’Alain Juppé et de François Fillon, le jour même des premières révélations du Canard enchaîné.

Macron-compatible, Virginie Calmels ? Franchir le Rubicon, l’idée l’a effleurée. Son engagement à Bordeaux a balayé la tentation. « Son couple avec Jérôme Chartier, un des lieutenants de Fillon, a pu jouer », confie un proche. Xavier Niel, le fondateur de Free et d’Iliad, qui compte parmi ses amis, lui reconnaît une « compatibilité » sinon une ressemblance sur bien des points avec l’actuel président de la République, quand d’autres mettent en exergue « sa loyauté et son refus du compromis », inconciliables avec le “ni droite-ni gauche”. « Elle manque de rondeur, parfois de finesse, voire de sens politique », renâclaient des élus de la majorité à son arrivée dans la ville de Chaban-Delmas, adepte du consensus. « Il est toujours difficile, quand on vient du monde du business, de s’adapter aux codes de la politique. C’est comme mettre un carré dans un cercle, en quelque sorte », analyse Alain Minc, qui, avant de marcher pour Emmanuel Macron, soutenait Alain Juppé.

Virginie Calmels voit dans ces jugements peu amènes l’« arrogance du milieu politique envers ceux qui viennent d’ailleurs ». La dame est dans le “faire”, mais pas toujours dans la dentelle. Virginie Calmels est directe, bosseuse, impatiente, pragmatique, efficace. Sans état d’âme. « Une tornade déterminée, négociatrice adroite dotée d’un toupet d’acier », ajoute Nicolas de Tavernost, le président du directoire de M6, qui garde en mémoire ses joutes avec l’ex-présidente d’Endemol. « Opiniâtre et persuasive », poursuit Xavier Niel, qu’elle finit par convaincre d’animer à Bordeaux une conférence du Conseil des entrepreneurs, lui qui fuit d’ordinaire tout type de show, même l’assemblée générale d’Iliad… Pour cette réunion trimestrielle qu’elle a mise en place, d’une trentaine de chefs d’entreprise girondins, elle ouvre son précieux carnet d’adresses et fait venir une belle brochette de patrons : Laurent Solly (Facebook France), Philippe Bourguignon (ex-Euro Disney) ou encore Carlo d’Asaro Biondo (Google Europe). Autant d’ingrédients qui expliquent la carrière fulgurante de cette mère de famille de 46 ans (directrice financière de NC Numericable, directrice générale déléguée de Canal Plus, puis présidente d’Endemol France) et qui lui donnent l’assurance nécessaire pour gravir quatre à quatre les marches du pouvoir.

« Elle est rigoureuse, pas rigoriste », tempère son amie Anne-Charlotte Rousseau, à qui elle avait confié, lors de leur première rencontre il y a une quinzaine d’années, son envie de s’engager en politique. Bulldozer ? « Grande romantique, elle écrit la partition de sa vie au rythme de la passion, amoureuse comme professionnelle. Sans aucun plan de carrière », s’emballe Gaël Tchakaloff, l’auteur de Lapins et Merveilles (Flammarion). Derrière la cartésienne, l’émotionnelle, donc, qui divorce à 28 ans après trois ans d’un mariage qui l’aurait entraînée sur un chemin trop plat et qui annule son mariage avec Christian Blanc, l’ancien président-directeur général d’Air France, une semaine avant la cérémonie. Une fantaisiste capable de s’enflammer sur un dance floor aux premières notes d’une chanson de Johnny Hallyday. Si surprenante que son amie Gaël Tchakaloff ne « serait pas étonnée de la voir tout lâcher pour écrire une comédie musicale ou faire un stage à Broadway ! »