Par Eric Mandonnet.
Virginie Calmels a adoré le Sarkozy de 2007, elle appartient aujourd’hui à la garde rapprochée de Juppé. L’ex-patronne d’Endemol, élue à Bordeaux, a toujours aimé la politique. Y entrer passionne cette femme de pouvoir.
Ne dites pas à Alain Juppé qu’il a à ses côtés une personne qui l’admire… un peu parce qu’elle regrette d’avoir choisi Jacques Chirac en 1995. La première décision du nouveau président fut pourtant de l’envoyer, lui, à Matignon. N’ajoutez pas qu’elle aurait pu voter Dominique Strauss-Kahn en 2012, ni même qu’elle fut conquise par le Nicolas Sarkozy de 2007.
Dans l’entourage proche de l’ancien Premier ministre, il y a donc un ovni. Une femme -la seule-, une chef d’entreprise, une non-encartée. Virginie Calmels est la première de ses adjointes à Bordeaux, chargée de l’économie, de l’emploi et de la croissance durable, et elle a désormais son rond de serviette aux rencontres hebdomadaires au cours desquelles Alain Juppé se prépare à la primaire.
Pour comprendre le rapport entre l’ancienne patronne d’Endemol et la chose publique, l’histoire de 1995 est décisive. Virginie Calmels a 24 ans, elle suit les émissions politiques, notamment L’Heure de vérité, depuis sa plus tendre enfance. Quelques années plus tôt, étudiante à Chartres, elle a songé à participer à la campagne du maire sortant, Georges Lemoine, un socialiste bon teint. Le choix des hommes lui importe plus que l’emblème des partis. Noble intention, parfois risquée.
« L’image n’est pas tout »
Quand la droite se fracture entre Jacques Chirac et Edouard Balladur, elle opte pour le premier. Car le second lui fait une piètre impression. Elle le reconnaîtra après coup, elle tombe ainsi dans le panneau. Lorsqu’elle découvre le vrai Balladur, bien plus tard, en portant deux docufictions inspirés de ses livres L’Arbre de mai et Le pouvoir ne se partage pas, elle se dit qu’il aurait fait un bon président.
Elle prend conscience de la fameuse et terrible distorsion entre ceux qui excellent à conquérir le pouvoir et ceux qui sont doués pour l’exercer. Elle en voudra encore à Chirac en 2002, incapable, à ses yeux, de profiter de ses 82 % pour lancer des réformes d’intérêt national. « L’image n’est pas tout. Un mec sympa, c’est bien, un homme d’Etat, c’est mieux. » Le raisonnement garde toute son actualité. Alain Juppé, Nicolas Sarkozy? « J’ai envie que la France renoue avec un homme d’Etat, celui qui place l’intérêt général au-dessus de tout. »
Elle n’est pourtant pas une antisarkozyste primaire. Plutôt une déçue du sarkozysme. Elle a pleinement adhéré à la campagne de 2007. Travailler plus pour gagner plus, elle adore. Une France déverrouillée, une sorte d’American dream, elle signe des deux mains. Mieux que d’autres, parce qu’elle est à cette époque une businesswoman ouverte sur le monde, elle mesure le poids de la crise de 2008. Et estime que Nicolas Sarkozy a alors été un bon président, un vrai leader pour l’Europe.
Juppé fut si typiquement RPR…
Ensuite, les choses se gâtent quand ce qu’elle appelle « la politique politicienne » reprend ses droits. Avec une fonction présidentielle soumise à trop d’aléas, un discours à Grenoble suscitant trop de fractures. Elle dit certes détester la bien-pensance -« C’est pour cela que je ne me sens pas de gauche »- c’en est fini de Sarkozy. Dans la foulée, l’attitude de François Hollande vis-à-vis des entreprises la conforte dans l’idée que la gauche, ce n’est pas pour elle.
Eh, eh, Juppé est arrivé, sans s’presser. Il n’avait ni cheval, ni grand chapeau, simplement une colonne vertébrale et des valeurs. « Moi, ce que j’aime, c’est qu’il soit capable de faire des conférences gratuitement. » On a compris. L’engouement n’allait pas de soi. Pas à cause de l’épisode des juppettes, dont elle n’a cure. Mais Juppé, c’est aussi le Premier ministre qui convoque les préfets pour mener la bataille de l’emploi. Il fut si typiquement RPR… « Il opère maintenant une synthèse entre l’homme qu’il a été, incarnation de la haute administration, et celui qu’il est devenu, comprenant que l’Etat doit lâcher la bride dans la sphère économique. » Je vous parle d’un temps…
« Le déplafonnement de l’ISF, ce fut une connerie », lui avoue-t-il lors de l’une de leurs premières conversations. Bingo. Sur le fond, elle le pensait. Et le voir capable de reconnaître une erreur achève de la convaincre.
À fond dans la bataille présidentielle
Outre sa nouvelle vie d’élue -et de successeur potentiel à la mairie de Bordeaux-, Virginie Calmels s’investit à fond dans la bataille présidentielle. Elle apporte ses réseaux, travaille au fundraising, monte un groupe de travail avec grands, petits et autoentrepreneurs, réfléchit, avec Pierre-Mathieu Duhamel, ancien directeur de cabinet adjoint de Juppé à Matignon, à l’ossature d’un programme économique.
Dans les boîtes où elle a sévi, cette femme de pouvoir avait l’image d’une dame de fer. Avec la politique, elle a l’obsession d’une dame de faire. Elle est persuadée qu’Alain Juppé aura le courage de l’action. Parce qu’il n’aspire qu’à un mandat présidentiel, parce que son âge serait un atout. Elle veut également croire que la politique, sur ce point, ressemble dorénavant à l’entreprise : l’important serait d’être respecté, pas de se faire aimer.
Elle ne peut s’empêcher de trouver « dingue » que les ministres soient tellement interchangeables, au mépris de toute considération de compétence. Mais l’appétit vient en mangeant : dès lors qu’elle se sent légitime, elle servira Alain Juppé là où il la jugera le plus utile.