Interview de Virginie Calmels accordée au Point le le 11 juin 2019.
Ce n’est pas un retour en politique. Quand nous avons contacté Virginie Calmels pour lui proposer un entretien sur l’état de la droite, elle a longuement hésité. Ce fut d’abord non et puis, au regard de la situation, l’ancienne vice-présidente des Républicains a posé une seule condition : « Je ne veux pas que cette interview soit interprétée comme un come-back ce qui n’est absolument pas le cas ! » Désormais à la tête du groupe immobilier de luxe Barnes, elle avoue se sentir « plus apaisée » loin de la politique. « On se sent utile, et ça participe, je crois, tout autant, sinon plus, à la réussite de notre pays », renchérit celle qui, comme d’autres, s’inquiète de la décrépitude des Républicains après la déconvenue aux européennes.
Le Point : Avec 8,48 % aux dernières européennes puis une série de démissions, la droite traverse la plus grave crise de son histoire récente. Que s’est-il passé ?
Virginie Calmels : René Rémond fit date en 1954 en théorisant l’existence de la continuité des trois courants de droite nés en 1815 (légitimiste, orléaniste-libéral, bonapartiste). La création de l’UMP n’était au fond qu’une application de cette théorie en réunissant sous un même parti les gaullistes sociaux, les libéraux, les sociaux-démocrates et les conservateurs, laissant au Front national une sorte de quatrième droite, « la droite nationale populiste » comme certains l’ont baptisée. Lors des primaires de la droite et du centre en 2016, les trois principaux leaders (François Fillon, Alain Juppé et Nicolas Sarkozy) avaient des projets très voisins qui empruntaient à chacune de ces trois droites (libéralisme économique, gaullisme social sur la poursuite du modèle social français, et fermeté sur l’ordre, la police, la justice, la lutte contre l’immigration) sans qu’aucune des trois composantes n’ait le sentiment de prendre le pas sur les deux autres.
Mais pourquoi seulement 8,48 % ?
Une fois Laurent Wauquiez élu à la tête du parti, et alors qu’il avait prétendu souhaiter le rassemblement, il a, au contraire, et de façon incompréhensible pour moi, privilégié une seule ligne politique, la ligne dite identitaire, se différenciant dès lors assez peu du Rassemblement national sur bien des points, et conduisant ainsi au rétrécissement du parti Les Républicains. LR s’est mis alors à dériver vers un antilibéralisme caricatural : protectionnisme, hausse du smic, soutien aux emplois aidés, dénonciation des « cadeaux aux riches », jusqu’à son paroxysme avec cette alliance contre nature de LR avec La France insoumise contre la privatisation d’ADP. Cette dérive mortifère a conduit non seulement au départ de nombreux élus, mais, pire, à la désertion des électeurs comme en témoigne ce score historiquement faible de 8 %.
Les électeurs LR se sont tournés majoritairement vers la liste Renaissance et Emmanuel Macron. Est-ce lui la droite maintenant ?
En oubliant, d’une part, la baisse de la dépense publique seule capable d’entraîner une baisse des impôts et de la dette et, d’autre part, la dimension sociale visant à ne pas s’adresser qu’aux gens qui vont bien, voire très bien, la politique économique d’Emmanuel Macron n’est ni de droite ni de gauche. Et l’épisode post-Gilets jaunes ressemble dangereusement à une politique keynésienne. Son silence assourdissant sur les questions de laïcité, son absence de mesures fortes face à l’immigration, le matraquage de la propriété immobilière, le triste épisode du limogeage du général de Villiers et les baisses budgétaires de l’armée et du ministère de l’Intérieur, l’absence de restauration de l’ordre à Notre-Dame-des-Landes ou avec les Gilets jaunes ne peuvent définitivement pas classer Emmanuel Macron à droite, me semble-t-il. Il a, je crois, beaucoup en commun avec Matteo Renzi. La politique d’Emmanuel Macron donne malheureusement l’impression d’accentuer encore le creusement des inégalités.
Mais force est de constater que la droite est en train de s’effacer. Au point de disparaître ?
Durant mes six mois comme première vice-présidente de LR, j’avais cru au rassemblement possible. J’ai maintes fois tiré la sonnette d’alarme face à cette dérive vers la quatrième droite, et s’est ensuivi mon départ de l’équipe de direction du parti il y a quasiment un an, jour pour jour. Mais aujourd’hui, après un tel score, j’ai le sentiment que la prise de conscience est collective et j’espère une reconstruction, car le tête-à-tête Macron/Le Pen n’est pas sain pour la démocratie. J’ai en tout cas la conviction que les valeurs de la droite n’ont pas soudainement disparu en France.
Les jeunes ont déserté LR, lui préférant EELV, le RN et LREM. La droite est-elle devenue ringarde ?
À force de concentrer les propositions sur l’identité, les jeunes n’ont pas entendu les réponses à leurs préoccupations légitimes face au chômage, à l’environnement, à l’intelligence artificielle, à la blockchain, à la cybercriminalité, à leur avenir en somme !
Finalement, le clivage actuel ne se résume-t-il pas à un affrontement entre progressistes et populistes, laissant de fait le duel droite/gauche sur le banc de touche ?
Cet affrontement, tactiquement mis en scène par Emmanuel Macron à son bénéfice aux européennes, ne peut résumer le paysage politique qui est plus complexe sous réserve que la droite se reconstruise. Je vois pour ma part un autre clivage qui me semble plus porteur de transformations : le clivage entre les étatistes centralisateurs (de gauche comme de droite) et les non-étatistes décentralisateurs. Le modèle de l’État-providence a échoué. Avec 9 millions de pauvres et 6 millions de chômeurs, c’est un échec patent d’un pays sur-administré, où la dépense publique représente 57 % de notre PIB, mais où paradoxalement les services publics ne cessent de décroître. Pourtant, qu’elles soient de droite ou de gauche, les politiques menées confinent à la reproduction de ce modèle : hausse de la dépense publique, hausse des impôts, toujours plus d’État et jamais mieux d’État. Au-delà des politiques, une partie de la haute fonction publique majoritairement issue de l’ENA et très largement étatiste ne parvient pas à raisonner out of the box pour porter une nouvelle vision de la France de demain.
Revenons aux Républicains. Quelle ligne doivent-ils désormais tenir pour survivre ?
Une ligne qui emprunte aux trois droites : libérale dans le domaine économique, sécuritaire dans le domaine régalien, gaulliste dans le domaine social, tout en donnant une vision autour de la méritocratie et du bien-vivre ensemble. Le travail, le mérite, la restauration de l’ascenseur social, la liberté d’entreprendre, de transmettre, la défense de la propriété, la lutte contre l’égalitarisme et le nivellement par le bas, la réforme nécessaire de la fonction publique et des retraites, tout en protégeant les services au public, mais aussi, et tout autant, la restauration de l’ordre, de la justice, de la sécurité, de la lutte contre l’immigration, la défense de la laïcité tout en rappelant nos racines judéo-chrétiennes dont nous sommes fiers et auxquelles nous sommes attachés, c’est tout cela pour moi la droite à laquelle j’aspire. Elle n’est ni libérale, ni gaulliste sociale, ni conservatrice, elle est une alchimie des trois avec une prédominance de l’une par rapport aux deux autres selon de quels domaines on parle. Mais jamais elle ne doit empiéter sur la droite « nationale populiste » sous peine de se perdre.
Aujourd’hui, LR se cherche avant tout un chef et se presse à refaire un scrutin interne. Est-ce vraiment une priorité ?
Je crois que Les Républicains sont davantage confrontés à une quête de sens qu’à une quête de chef.
Encore faut-il retrouver une crédibilité…
Pour retrouver sa crédibilité, elle doit se concentrer sur le « comment » autant que sur le « quoi ». La crédibilité du FAIRE passera non seulement par une cohérence sur la ligne politique, mais surtout par la méthodologie de la mise en œuvre.
Édouard Philippe en macronie, vous de retour dans le privé, Alain Juppé en retraite politique… Le juppéisme a-t-il définitivement disparu ?
Le seul capable d’incarner le rassemblement du juppéisme, c’était Alain Juppé lui-même et il a décidé de quitter la vie politique.
Regrettez-vous d’avoir raccroché les gants ?
Lorsque je me suis engagée en politique, j’avais précisé que, pour moi, il s’agissait d’une mission et non d’un métier. Je fais partie de ceux qui pensent que se mettre au service du bien commun est noble et qu’il faudrait davantage de passerelles entre le privé et la sphère publique. Mais mon vrai métier, exercé pendant plus de vingt ans, c’est celui de chef d’entreprise et je l’ai retrouvé avec bonheur il y a 3 mois au sein du Groupe Barnes. Je n’ai nulle intention de replonger dans l’arène politique. J’aime l’action et les résultats, moins les commentaires et les bisbilles politiciennes. Développer une entreprise à l’international, créer des emplois, c’est exaltant, car on se sent utile, et ça participe, je crois, tout autant, sinon plus, à la réussite de notre pays.