Chaque semaine, Le nouvel Economiste révèle un tempérament à «L’Hôtel», rue des Beaux-Arts, Paris VIe. Portrait d’une femme de chiffres conjuguant l’irrationalité affective avec la rationalité professionnelle. Par Gaël Tchakaloff. 

Parce qu’elle vibre au jour le jour, la directrice générale d’Endemol France a déjà sillonné plusieurs chemins professionnels et affectifs. A chaque tournant, elle s’échappe, comme pour mieux profiter du temps qui lui reste. Femme de l’ombre à l’extérieur, femme de poigne à l’intérieur, elle a longtemps écrit les partitions de ses mentors. Affective, pudique, sa vie se déroule pourtant au même rythme que les battements de son cœur.

Ceux qui ne connaissent pas son nom n’appartiennent pas au sérail. Car, depuis dix ans, Virginie Calmels laboure en long, en large et en travers les prés verdoyants de l’élite des médias parisiens. NC Numéricâble, Canal Plus, Endemol… Depuis ses débuts, la jeune auditrice financière n’a pas perdu de temps. Directrice générale adjointe de la chaîne Canal Plus à trente ans, elle a connu très rapidement les hauts. Et les bas. Mais la gaillarde sait recomposer les paysages. Celui de sa vie personnelle d’abord et avant tout. Mère d’une petite Pénélope de huit mois, elle a récemment dû inverser ses hiérarchies existentielles. Pourtant, en apparence, rien n’a changé. Le rachat d’Endemol Monde sur lequel elle travaillait aux côtés de Stéphane Courbit depuis de longues semaines a échoué. Cela ne semble pas l’affecter outre mesure. Le mois dernier, le consortium mené par John de Mol, Silvio Berlusconi et Goldman Sachs a emporté la mise… Pour une somme finale qui semble avoisiner les 3,5 milliards d’euros, soit, selon certains, près de 16 fois l’Ebitda (excédent brut d’exploitation) d’Endemol. Stéphane Courbit et ses partenaires n’auraient proposé que 14 fois l’Ebitda. Si votre tête tourne, celle de Virginie Calmels reste droite. Madame a les pieds dans la glaise, la tête dans le réel, le cœur dans les étoiles… Et bien d’autres activités en perspective. Cette fois-ci sans mentor, sans abri et sans pygmalion.

Œdipe en ce royaume

Elle est le fruit d’une passion. Voilà qui est rare par les temps qui courent. Ses parents, mariés chacun de leur côté, ont tout quitté l’un pour l’autre. Dans ces conditions, on comprend aisément quel prix elle attache à l’amour. Car, étonnamment, Virginie n’a rien perdu de son enthousiasme, de ses rêves, de sa candeur. Le monde de brutes qu’elle fréquente ne l’a pas entachée. Longtemps, la chrysalide est restée dans son cocon. Elevée près de Bordeaux, puis à Chartres, la lycéenne était interdite de sortie. Trop jeune pour fréquenter ses copains de classe. Elle avait un an d’avance. Pyramide affective de parents soudés, cercle familial extériorisé, elle a domestiqué le débat d’idées en famille. L’image forte est celle de son père. Celui qui lui a transmis l’optimisme, l’affirmation du tempérament, la capacité à se détacher du matériel. Et pour cause. Ancien colon d’Algérie, il avait lui-même tout perdu. Virginie a grandi dans la douce atmosphère de l’univers uni. Mais un jour, elle l’a perdu. Lui, cette icône, qu’elle remplacera ensuite par les mentors qui masquent sa lumière. Elle a gagné la foi au passage. “Je crois profondément en Dieu depuis la disparition de mon père. Je sens sa protection sur moi, chaque jour. Trop de choses sont arrivées dans ma vie qui ne peuvent pas seulement relever du hasard.” Oui, trop de choses. Elle a le sentiment que la vie lui a toujours souri. Elle ne voit pas qu’au fond, c’est elle qui s’est toujours battue. Pour la réussite, pour le succès, pour l’exigence des échanges amoureux. Du reste, il est vrai qu’elle a, une première fois, sauvé son père de la mort. Rupture d’anévrisme à ses pieds lorsqu’elle était encore lycéenne. Finalement, il a vécu treize ans de plus. “Du rabe”, dit-elle. Il est vrai aussi qu’elle a su saisir les moments de bonheur que la vie lui offrait. Un jour, en rangeant son appartement parisien, elle retrouve les lettres que lui avaient écrites ses parents depuis l’enfance. Elle n’hésite pas, leur envoie une missive les remerciant de tout ce qu’ils ont fait pour elle, leur déclarant son amour. Son père a disparu une semaine plus tard. Pour de bon, cette fois-ci. Au lendemain de la fête des mères.

Amour, gloire et pureté

A côté du père, il y a les autres hommes. Elle les découvre tard. C’est en arrivant au foyer des lycéennes à Paris qu’elle goûte à la vraie liberté. Si bien qu’au lieu de décrocher HEC brillamment comme il était prévu, elle se contente de l’Ecole supérieure de commerce de Toulouse. Peu lui importe. Elle se marie, trop tôt, à vingt-cinq ans. Emménage, trop vite, à Versailles. Son sixième sens lui indique de ne pas faire d’enfant avec ce premier homme. Bingo. Elle le quittera très vite. Lui et la vie linéaire qui va avec. Entrée comme auditrice financière au cabinet Salustro Reydel, elle passera son diplôme d’expertise comptable et de commissariat aux comptes pour franchir plus vite les étapes hiérarchiques. Mémoire sur “Le traitement comptable pour le démantèlement des installations nucléaires”. Bref, que du glamour. Coup de chance, l’un de ses clients la repère pour la débaucher. Il s’agit de la Compagnie générale de vidéocommunication, au sein de laquelle Canal Plus restructure les équipes. Denis Olivennes la reçoit, lui explique l’opération commando qu’il mène et la convainc de le suivre sur un poste aussi fascinant que le titre de son mémoire : directrice du reporting et de la comptabilité. Elle sait qu’elle aura la place de la directrice financière de la société NC Numéricâble. L’affaire est effectivement réglée en quelques mois. Un jour, Christian Kosar et Denis Olivennes, qui ont tous deux travaillé chez Air France, lui conseillent de prêter main forte à celui qu’ils appellent “Le Président”. A la marge, le soir, les week-ends, Virginie aidera Christian Blanc à monter le business-plan de l’entreprise qu’il s’apprête à diriger : Sky Gate BV, une société de recherche et de développement dont le siège se trouve à Amsterdam. Ce qu’elle ne sait pas encore, c’est qu’elle deviendra la directrice administrative et financière de cette entité, à l’actionnariat israëlo-bulgare. Elle ne soupçonne pas, non plus, qu’elle est à l’aube d’une histoire plus personnelle avec “Le Président”, qui durera près de trois ans. Son commentaire : “Je n’ai rien à cacher. Je fais toujours les choses avec conviction et passion.”

La vraie vie de Virginie

On ne croirait pas quand on la voit. Bonne mise et bonne figure, comme disait ma grand-mère. Au fond, elle est beaucoup plus libre qu’elle en a l’air. En s’installant à Amsterdam, en négociant à l’étranger dans le cadre de Sky Gate, elle se façonne un profil international et tisse ses réseaux, un cran au-dessus. Si bien qu’en 2000, elle est tour à tour nommée directrice financière à l’international et au développement de Canal Plus, puis directrice générale adjointe et co-directrice déléguée de la chaîne aux côtés de Guillaume de Vergès. Dans ce cadre, elle participera à deux plans sociaux drastiques, qui forcent le respect à son égard, pour un temps, à l’intérieur de la chaîne. Malheureusement, son départ ne s’effectuera pas dans les meilleures conditions. “J’ai quitté Canal Plus parce que le changement de stratégie allait à l’encontre de ce que j’avais expliqué aux salariés, quelques mois plus tôt, dans le cadre du plan social, ce qui me mettait en porte-à-faux.” Le reste demeure secret. A ce moment, certains l’accusent, vraisemblablement à tort, de fournir à la presse des informations susceptibles de mettre en péril l’image du groupe. Elle négocie alors son départ et court rejoindre Stéphane Courbit, qui lui avait fait une proposition quelques mois plus tôt. Depuis près de cinq ans, elle partage son temps entre la gestion actionnariale et la mise en vente d’Endemol Monde. Désormais, plusieurs possibilités restent ouvertes : soit la présidence d’Endemol France, soit l’aventure – en dehors d’Endemol – aux côtés de Stéphane Courbit, qui vient d’ailleurs de lui confier la présidence de l’hôtel des “Airelles”, qu’il a acquis à Courchevel. “Dans la vie, j’ai besoin de challenges. J’ai compris que l’intérêt d’une activité dépend aussi des personnes avec lesquelles on travaille”, lance-t-elle avec un clin d’œil. Le moment est peut-être venu d’entrer seule dans la lumière et d’abandonner le rôle de numéro deux qu’elle a si souvent domestiqué. Il se trouve que Virginie rêve aussi de politique. Bien qu’elle ne le revendique pas, elle sait qu’être une femme est devenu un atout dans ce secteur. “Je ne suis pas féministe. Je pense que les femmes ont désormais un boulevard devant elles. Elles ont fourni la preuve de leur compétence, de leur tempérament et de leur capacité à gérer les choses de manière concomitante alors que les hommes les gèrent de façon séquentielle. Le train des femmes est en marche.” Un hasard, peut-être, son compagnon est un “spin doctor” connu des arènes sarkozystes…