Cette tribune de Virginie Calmels a été publiée dans L’Opinion le 27 janvier 2021.
« Négliger nos jeunes, c’est fertiliser le terreau d’une nouvelle crise, rampante, silencieuse, sans doute encore plus grave à long terme que celle que nous vivons actuellement. Car les étudiants d’aujourd’hui seront les jeunes actifs de demain. Des contributeurs majeurs à une société qui les aura mis de côté, abandonnés. Refuser la précarisation de cette génération, c’est revenir à une lecture plus humaine de notre condition, c’est parier sur l’avenir, c’est insuffler l’espoir plutôt que la résignation »
À Paris mercredi dernier, à Lyon jeudi – une ville particulièrement marquée par la détresse des étudiants avec deux tentatives de suicide depuis le début de l’année – à Bordeaux, Lille et Marseille demain ? Les jeunes se mobilisent pour dénoncer les effets dévastateurs de la crise sanitaire qu’ils subissent de plein fouet. Après de longs mois à être ignorée, complètement à bout, la “génération Covid” est mue par un mal-être profond, un sentiment injuste et lancinant d’être la “jeunesse sacrifiée”, celle à qui l’on ne rend aucun compte et dont l’avenir est bradé.
Face à cette détresse étudiante sans précédent, le désintérêt et l’inaction ne sont plus tolérables. Les mesures gouvernementales sont unanimement jugées insuffisantes : les acteurs de l’enseignement supérieur continuent, dans l’indifférence générale, de fermer leurs portes à l’immense majorité de leurs étudiants, les condamnant à l’isolement, à des troubles psychologiques graves, à l’obtention d’un diplôme au rabais et à un risque réel de décrochage. Ces “étudiants fantômes” sont à bout et veulent le faire savoir. Mais qui est là pour les écouter ? Qui se soucie du sort d’une jeunesse avec soi-disant “la vie devant elle”, alors qu’ils veulent vivre maintenant, au moins survivre.
Triple peine. Le silence de tous m’interpelle : avons-nous oublié ce que c’est que d’avoir 20 ans ? Sommes-nous prêts à sacrifier notre jeunesse sur l’hôtel des restrictions sanitaires ? Prenons-nous seulement la mesure de la triple peine à laquelle nous les condamnons ? Car oui, leurs maux sont pluriels, profonds, et sans doute irréversibles.
L’isolement et la détresse psychologique d’abord. Nombreux sont les rapports de santé publique qui nous alertent : les étudiants sont une population à risque, particulièrement exposée à des troubles psychologiques liés à la précarité de leur situation. Le niveau de détresse psychologique, des premières années aux doctorants, n’a jamais été aussi élevé qu’en ce début d’année. Sont en cause la dégradation des conditions de vie, aujourd’hui presque carcérales, la précarisation des finances et l’isolement des étudiants. En manque de lien social, livrés à eux-mêmes, ils sont plus que jamais à la merci de phénomènes de démotivation, de surmenage, ou bien de décrochage massif. Pour certains, leur vie est en danger, pour d’autres, elle est devenue virtuelle.
« Tout semble indiquer que c’est la “génération Covid” qui va trinquer : chômage des jeunes, emplois précaires, crise économique majeure… La liste des maux à venir est longue, encore plus quand on a eu 20 ans aujourd’hui…Sans parler du poids de la dette qui pèsera sur les générations futures »
Une vie virtuelle qui creuse les inégalités. Afin d’assurer un semblant de service, les universités ont, pour la plupart, mis en place un système de cours à distance. Pourtant, ce mode d’enseignement ne cesse de creuser des inégalités, inégalités que les études supérieures ont théoriquement vocation à combler. Des cours en ligne qui pénalisent des étudiants moins bien équipés, qui ne bénéficient pas d’un lieu adapté pour suivre le cours dans des conditions convenables. Les universités et les écoles doivent contribuer à sortir les jeunes de cet engrenage.
Le spectre de la crise économique enfin. Mettre tout un pays à l’arrêt, cela à un prix. Le « quoi qu’il en coûte » a ses limites. Qui remboursera ? Tout semble indiquer que c’est la “génération Covid” qui va trinquer : chômage des jeunes, emplois précaires, crise économique majeure… La liste des maux à venir est longue, encore plus quand on a eu 20 ans aujourd’hui…Sans parler du poids de la dette qui pèsera sur les générations futures.
Accompagnement. Négliger nos jeunes, c’est fertiliser le terreau d’une nouvelle crise, rampante, silencieuse, sans doute encore plus grave à long terme que celle que nous vivons actuellement. Car les étudiants d’aujourd’hui seront les jeunes actifs de demain. Des contributeurs majeurs à une société qui les aura mis de côté, abandonnés. Refuser la précarisation de cette génération, c’est revenir à une lecture plus humaine de notre condition, c’est parier sur l’avenir, c’est insuffler l’espoir plutôt que la résignation. Si un retour à la normale n’est pas envisageable dans l’immédiat, trouvons, a minima, ensemble, les solutions pour les aider maintenant.
Chez Futurae, nous avons mis en place des cours par groupes restreints pour les enseignements techniques avec un accompagnement personnalisé dans le respect des protocoles sanitaires, ce qui permet de lutter contre l’isolement et de préserver le lien social. Et nous accompagnons chaque étudiant en mastère dans sa recherche de stage de césure.
Que ce soit pour les étudiants qui ne doivent pas sombrer dans la précarité ou pour les jeunes qui se retrouvent actuellement sur le marché de l’emploi, il faut favoriser par tout moyen l’embauche des jeunes, que ce soit en stage, en CDD, ou bien sûr en CDI. Pour cela l’extension dans le temps des mesures d’aide à l’embauche (apprentissage, suppression des charges patronales, etc.) est une nécessité.
Le « chèque santé mentale » n’est malheureusement qu’un bien triste pis-aller.