Propos recueillis par Rémi Clément.
C’est son dernier grand entretien. Alors qu’elle s’apprête à rejoindre un grand groupe privé, après avoir annoncé la démission de son mandat de première adjointe municipale à Bordeaux, Virginie Calmels fait le bilan de cinq ans d’action politique dans Challenges. Élue municipale, tête de liste LR aux élections régionales de 2015, numéro 2 des Républicains… l’ancienne patronne d’Endemol, a connu une ascension fulgurante au sein de sa famille politique. « J’ai été sollicitée, peut-être sur-sollicitée », reconnaît-elle aujourd’hui. A l’heure de refermer la parenthèse, l’élue livre un jugement sans concession sur la dureté du monde politique, sa violence, ses absurdités et laisse en héritage un testament libéral, qu’elle continuera de défendre à travers son mouvement DroiteLib.
Challenges : Vous avez dirigé Endemol et Canal+ avant de connaître une carrière politique fulgurante à la mairie de Bordeaux et en tant que numéro deux des Républicains. Quel univers est le plus impitoyable ?
Virginie Calmels : Ce sont deux mondes totalement différents. Dans une entreprise, il y a une vision collective, des objectifs partagés à atteindre au service des salariés, des clients et des actionnaires. Tout le monde tire dans la même direction. La politique répond elle à une logique beaucoup plus individualiste. La lutte pour le pouvoir prend le pas sur tout. Il faut à tout prix éliminer les autres pour être la dernière quille debout. Dans le privé, la situation est simple : vos concurrents sont à l’extérieur et il faut parvenir à faire mieux qu’eux. En politique, vos ennemis sont à côté de vous, dans le même parti, parfois le même exécutif. Dans une entreprise, si vous tirez contre votre propre camp, il s‘agit d’une faute lourde, vous vous exposez à une sanction voire à un licenciement selon la gravité des faits. C’est tout l’inverse en politique, la déloyauté contre son propre camp n’est pas sanctionnée. J’ai mis longtemps à le comprendre. Je suis arrivée empreinte d’une forme de naïveté, en me disant que ce qui comptait c’était de délivrer des résultats. C’est ce que j’ai fait en local pendant cinq ans en contribuant à la création nette de plus de 30.000 emplois à Bordeaux avec l’installation de Betclic, Ubisoft, Hermès, OVH, Deezer… Je me suis rapidement rendue compte que ce n’était pas le seul critère d’appréciation. Parfois, le simple fait d’appartenir à un parti, d’entretenir des liens politiques, suffit à permettre de longues carrières d’apparatchiks, indépendamment de tout critère de compétence. Les équilibres politiques, la méfiance réciproque expliquent parfois des choix surprenants . Fillon racontait comment après s’être spécialisé dans la défense, dont il a été le président de la commission parlementaire entre 1986 et 1988, on lui avait confié… le ministère des Affaires sociales.
Avez-vous été surprise par la violence du monde politique ?
J’ai découvert un niveau de violence que je ne soupçonnais pas. La politique, c’est un peu comme ces familles dysfonctionnelles dans lesquelles les anciens enfants battus s’en prennent à leur tour à leurs enfants. Les politiques reproduisent sans cesse ce qu’ils ont vécu. Parce qu’ils ont souffert d’attaques injustes, cruelles, d’autres doivent souffrir à leur tour. C’est un ressort psychologique qui échappe à toute forme de rationalité. Pourtant selon moi ce degré de violence n’est pas une fatalité, il serait possible d’en sortir. En cinq ans, j’ai vu des choses invraisemblables : des gens qui passent leur journée à inventer des conversations qui n’ont jamais eu lieu dans le seul but de nuire à leurs concurrents. Dans mon cas, cela s’est accéléré quand j’ai saisi la main tendue de Laurent Wauquiez pour devenir numéro 2 de Les Républicains. Je voulais rassembler la droite en revendiquant bien nos différences de sensibilité, mais on m’a collé sur le dos l’image de la traître. Aussitôt a commencé une campagne de dénigrement, dont le paroxysme a été la publication dans le Canard Enchaîné de propos attribués à Alain Juppé m’accusant de manquer de principes. Tout était entièrement faux bien sûr, a fortiori l’ayant préalablement informé sans qu’il n’émette d’objection, et il a aussitôt démenti, mais ça n’a pas suffi à enrayer l’emballement médiatique. Face au combat d’idées j’étais plus armée, mais face à cette violence de dénigrement et de diffamation on se retrouve démuni.
Libérale revendiquée, votre expérience à la tête d’un exécutif local, vous confirme-t-elle dans l’idée que les politiques français sont drogués à la dépense publique ?
Je constate l’impuissance de nombreux dirigeants politiques à s’affranchir du recours à l’impôt, et à améliorer l’efficacité de la dépense publique, et Emmanuel Macron ne fait pas exception. L’argent public n’est pas géré avec la même considération que dans le privé. Quand l’objectif premier d’un chef d’entreprise est de parvenir à faire baisser ses coûts tout en garantissant la qualité du produit, en négociant mieux ou en rognant sur les dépenses inutiles notamment, un politique sait qu’il pourra toujours avoir recours à l’impôt au lieu de chercher à baisser les coûts. Il y a un code des marchés publics qui conduit à un surcoût des marchés sans de réelles négociations. Pire, il y a même une incitation à la dépense, les élus sont jugés sur leur capacité à construire de nouveaux complexes, engager des travaux… La capacité à bien gérer, à se désendetter, moins visible, est rarement mise en valeur. A Bordeaux, je suis parvenue à obtenir une baisse de 30% des dépenses publiques dans mon périmètre, mais pour y parvenir j’ai dû batailler, regarder les budgets ligne par ligne, demander des budgets consolidés pour mettre un terme aux demandes de subventions parallèles (entre les collectivités ou entre les différents services), hiérarchiser les priorités, négocier, trancher, etc bref gérer.
L’échec de François Fillon à la présidentielle, le tournant étatiste de Macron à la faveur de la crise des « gilets jaunes » vous laissent-ils orpheline de vos idées ?
Je quitte la politique locale pour un choix de vie familiale à Paris, mais je m’éloigne de la politique nationale faute de trouver un souffle, un leader avec une vision, une feuille de route permettant de s’affranchir du vieux logiciel étatiste. L’Etat providence est en échec (9M de pauvres, 6M de chômeurs), le nouveau monde sera celui qui rompra avec ce modèle. Malheureusement le modèle perdure car l’essentiel des politiques n’ont pas la culture de l’entreprise, ils sortent da la haute fonction publique, sont sur le même moule… Cela a un peu évolué avec l’entrée de nouveaux députés issus du monde de l’entreprise à l’Assemblée nationale, mais on est encore loin du compte. A l’Elysée, à Matignon, les profils sont trop monolithiques. Quand Emmanuel Macron se félicite qu’Alexis Kohler soit « son double », je trouve que c’est inquiétant. Cela explique, pour moi, pourquoi rien ne change. On me dit régulièrement : « Pourquoi tu n’es pas avec Macron ? Tu devrais en être. » Moi j’aspirais au nouveau monde or la politique menée est centralisatrice, étatiste, jacobine, sans aucune baisse de la dépense publique, et technocratique à l’instar des 80kmh, ce qui en fait l’incarnation de l’ancien monde. Pourtant avec 2.200 milliards d’euros de dettes, et le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé, le seuil d’alerte est atteint. La France a perdu toute marge de manœuvre économique. Baisser la dépense publique est le préalable indispensable à toute décision politique, mais pour cela il faut sortir du logiciel étatiste éculé.