Le traité de Rome a institué la CEE pour permettre la liberté de circulation des marchandises et services, des capitaux, des personnes, et favoriser une concurrence loyale au sein du marché commun. Certes, l’objectif initial était aussi l’instauration d’une politique commune dans les domaines de l’agriculture, des transports et une coordination des politiques économiques et financières, mais il s’en tenait là. Depuis de traité en traité l’objet d’intervention s’est élargi sans limites.
Au-delà des compétences exclusives, l’Europe peut désormais se mêler, de marché intérieur, politique sociale, cohésion économique, agriculture, pêche, environnement, protection des consommateurs, énergie, espace de liberté, sécurité, justice, santé publique, recherche, développement technologique, aide humanitaire…. Plus rien ne lui échappe.
Certes le principe de subsidiarité a été inscrit dans le marbre par le traité de Maastricht (1992) pour disposer que ≪ dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté n’intervient que si les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les Etats membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire≫. Mais désormais les compétences de l’Union sont si étendues et si floues que la subsidiarité s’y perd, et peut-être pourrait s’y pendre comme le canal de Jacques Brel à Bruxelles.
L’Europe largue sa boussole et sa direction, car qui trop embrasse mal étreint. Et les peuples européens gardent les séquelles de cette violation par laquelle le traité de Lisbonne a été signé au forceps par l’Irlande après qu’un précédent Traité établissant une Constitution pour l’Europe ait été rejeté par la France et les Pays-Bas.
L’objectif initial était d’éliminer les barrières qui divisent l’Europe, mais la Commission a multiplié les obstacles technocratiques, qui entravent la production de nos fromages, transforment nos agriculteurs en employés administratifs et en assistés, limitent l’emploi des salariés d’autres pays membres, imposent des charges règlementaires, fiscales ou sociales excessives… Il y peu, le droit européen comptabilisait 154.000 pages et chaque année s’y ajoute des milliers de textes, en 2015 par exemple 1487 règlements, 53 directives, 1156 décisions et 2267 jugements de la Cour de justice UE.
L’Europe est instrumentalisée par tous les partis pour en faire selon les cas un bouc émissaire ou une panacée. Elle n’est ni l’un ni l’autre. Mais assurément, la solution n’est ni dans toujours plus d’Europe ni dans la sortie de l’Europe. Il faut une autre Europe, respectueuse des nations et de la liberté des personnes. Nous ne demandons pas à l’Europe de nous dire ce qui est bon pour nous, de faire notre bien malgré nous. L’Europe de l’esprit et de l’espoir créée par Adenauer, Schumann et De Gasperi s’est perdue dans des plans d’investissement voués à l’échec durable d’un vieux keynésianisme désuet, elle s’est noyée dans la paperasserie. Elle s’adonne à une bienveillance délétère en continuant d’admettre et d’aider des pays corrompus et ignorants de notre droit commun. Nous attendons qu’elle veille à l’état de droit, qu’elle fasse respecter ses frontières, qu’elle reste fidèle à ses racines historiques et culturelles, garante de la liberté des Hommes, de leur inquiétude face à leur finitude et de leur appel à une infinitude.
Nous ne voulons pas d’une Europe qui nous assiste. D’ailleurs, les régions anglaises les plus aidées ont voté massivement pour le Brexit et les populations rurales des anciens pays de nos marches de l’Est ne sont pas les plus favorables à l’Union. Les peuples veulent garder leur patrie et il faut retenir l’avertissement du Général De Gaulle selon lequel « il ne peut y avoir d’autre Europe que celle des États, en dehors naturellement des mythes, des fictions, des parades » (15 mai 1962).
L’Europe a pour mission de fixer un cadre, mais aussi et ensuite de le faire respecter. L’Euro a été admis et construit sur la base d’une règle d’or selon laquelle la BCE ne devrait jamais aider les Etats et il a suffi d’une crise pour que la digue cède. Les principes fondateurs de la monnaie commune prévoyaient que l’endettement public des Etats ne devait pas être supérieur à 60% du PIB, et en 2017, elle représentait 86,7% pour la zone euro et, paradoxalement, 81,6% pour l’UE. Peut-il y avoir durablement une Autorité commune, européenne, qui ne fasse pas respecter son autorité ?
Et désormais l’Europe se nourrit d’illusions en se vouant à une uniformisation qu’elle baptise « harmonisation » fiscale comme à une panacée. Pourtant la Suisse et les Etats Unis nous démontrent que pour petit ou grand pays, l’autonomie fiscale des échelons inférieurs, – cantons et communes helvétiques, états américains -, permet une gestion plus économe, moins pesante pour les individus dont les énergies libérées permettent à ces pays d’être les plus prospères. Ce que nous pourrions faire à l’échelon régional.
Il faut recentrer l’Europe sur ses fonctions essentielles tendant à favoriser la liberté, l’échange, l’enrichissement mutuel économique et culturel, de telle façon qu’elle contribue à la justice, à l’ouverture des esprits et à la valorisation des talents. Nous ne voulons pas d’une Europe uniforme, centralisée, bureaucratique. Notre Europe veillera mieux à développer la concurrence en favorisant l’innovation, la création d’entreprises et en réduisant les barrières à l’entrée de trop d’activités plutôt qu’en instituant la règle du soupçon à l’encontre de tout rapprochement entre sociétés européennes significatives.
Il ne s’agit pas pour autant d’être pusillanime ou pessimiste. L’Europe reste une aventure formidable et une ambition à la portée de ceux qui voudront la porter sans en faire la grenouille qui voulait se faire plus grosse que le bœuf. L’UE doit dépenser mieux son argent pour traiter des priorités fondamentales qui ne peuvent être traitées qu’au niveau de l’Europe. Elle peut déployer positivement des efforts redoublés en faveur d’une diplomatie coordonnée, d’une défense concertée, des échanges culturels, d’une lutte contre l’immigration incontrôlée …. En cette journée du 9 mai, jour de l’acte de naissance de l’Union Européenne, ne devrait-on pas déclarer cette journée fériée comme un symbole de notre attachement à l’Europe ?
Préservons ce miracle qu’a été l’Europe dans le monde par la fusion de Rome, d’Athènes et Jérusalem qui a fait éclore notre civilisation fondée sur la liberté politique comme, disait Isaiah Berlin, cet « espace à l’intérieur duquel un homme peut agir sans que d’autres l’en empêchent ».