Tribune écrite et publiée par Virginie Calmels le 23 mars 2018 dans l’Opinion.
Performance, management, bien-être au travail… La première adjointe au maire de Bordeaux, Alain Juppé, et première vice-présidente des Républicains, Virginie Calmels, plaide pour une réforme en profondeur de la fonction publique.
Vouloir œuvrer au bien commun c’est vouloir davantage de justice entre les citoyens. Pourquoi les fonctionnaires, sous prétexte qu’ils bénéficient de la sécurité de l’emploi, ne pourraient-ils pas eux aussi revendiquer davantage de reconnaissance, d’efficience et d’évolution dans leur travail ?
Les fonctionnaires, les agents, les contractuels garants du service public sont aujourd’hui épuisés et démotivés. Le responsable : un Etat qui a toujours été un employeur exécrable ne sachant ni gérer les talents, ni récompenser le mérite, ni tout simplement dire merci. Au nom de l’intérêt général, dans les circonstances les plus difficiles, ils sont nombreux à être aux avant-postes : fonction publique hospitalière, police et gendarmerie, militaires, c’est la première ligne de défense du bien commun et pourtant, nous les négligeons. Chaque fonctionnaire est investi d’une mission de service public par l’Etat. Mais l’Etat investit-il suffisamment dans chacun de ses collaborateurs ?
Après près de vingt années d’expérience en entreprise privée, puis quatre en tant qu’élue locale, je constate un fossé béant dans le traitement des talents du privé et du public. Dans le public, ils ne sont tout simplement pas gérés. De surcroît, ils subissent l’opprobre d’une image dégradée du service de l’Etat et des collectivités par la faute d’un système à bout de souffle. 43 % des Français pensent qu’il y a trop de fonctionnaires (Opinion Way, Les Echos, février 2018). 83 % d’entre eux considèrent que les collectivités locales sont en sureffectifs. Et 57 % pensent qu’il faut remettre en cause le statut de fonctionnaire.
Les fonctionnaires au statut ne pourraient-ils pas être remplacés par des contractuels ?
Aborder cette question par des coups de rabot successifs ou des nombres de suppression d’agents publics ne résoudra nullement le problème. C’est une réforme en profondeur qu’il convient d’opérer.
1. Redéfinir le périmètre des missions. On ne pourra pas se dispenser de remettre à plat le périmètre des missions qui doivent relever d’agents publics et celui qui peut être confié à des contractuels, voire à la sphère privée. Hors du champ régalien notamment, les fonctionnaires au statut ne pourraient-ils pas être remplacés par des contractuels ?
2. Revoir l’organisation fonctionnelle et numériser certaines tâches
Rationalisation. La fonction publique, en plus d’être repensée, doit être rationalisée. Tout chef d’entreprise sait l’importance d’une gouvernance adaptée : trop léger, le processus de prise de décision peut manquer de discernement ; trop lourd, il est coûteux en fonctionnement et rend la prise de décision difficile. Confrontée à ce second écueil, l’organisation fonctionnelle de notre administration doit être révisée. Par exemple, le conseil régional de la Nouvelle Aquitaine est aujourd’hui administré par 2 800 personnes pour son seul siège, loin de la simplification que promettait la réforme des régions. De l’autre côté de la rue, le commissariat central souffre d’un manque d’effectifs et les policiers se voient contraints de dépenser du temps à des tâches purement administratives comme de simples procurations de vote par exemple. La transformation numérique qui s’impose à toutes les entreprises doit également s’imposer à nos administrations, à l’instar de ce qu’a réussi l’administration fiscale. La transition doit s’accélérer dans les prochaines années. Elle permettra à l’Etat et aux collectivités territoriales de mieux s’approprier l’innovation pour optimiser aussi bien les services aux usagers que leur communication interne.
La culture de la performance doit s’inviter dans la gestion des ressources humaines publiques
3. Faire bénéficier les fonctionnaires des règles de management éprouvés dans le privé : mobilité, évolution, promotion, prime au mérite bref méritocratie
L’évolution de carrière des fonctionnaires est d’une lenteur proverbiale. En 2014, seuls 8 % des agents ont connu une mobilité. Parmi eux, 6 sur 10 ont simplement changé d’employeur ou de zone, sans modification statutaire ou fonctionnelle : on déplace les agents mais seule une infime partie connaît une mutation « verticale ». Aucune promotion donc. Quant au mode de rémunération en plus d’être radicalement différent du privé, il est également contre-productif. La gestion de carrière reste immuablement fondée sur l’ancienneté en oubliant la performance alors que nos finances publiques doivent, depuis la loi de Finances de 2001, répondre à l’équation « une dépense = un objectif = un résultat ». La culture de la performance, bien installée en entreprise, doit s’inviter dans la gestion des ressources humaines publiques pour motiver, récompenser et non contraindre.
La fonction publique ne séduit plus avec la simple perspective d’un emploi à vie et d’un salaire fixe au détriment de l’évolution de carrière. A mes yeux, un fonctionnaire Bac +3 motivé et atteignant régulièrement les objectifs fixés par son manager doit pouvoir progresser plus vite qu’un Bac + 5 se contentant du strict minimum, sans qu’on lui réponde qu’un « catégorie B » ne peut doubler un « catégorie A » sans repasser deux ans sur les bancs d’une école. L’administration, qui prône par le biais du concours une réussite au mérite, doit renouer avec la méritocratie.
L’ennui au travail (le « bore out ») est un nouveau défi qui touche de plein fouet notre administration
4. Le bien-être au travail est une condition essentielle à l’accroissement de l’efficacité et à la lutte contre l’absentéisme.
Perte de sens. Evidemment, la perte de sens et l’absentéisme sont les symptômes de l’absence d’un management qui inspire et dirige vers l’excellence. Comme dans toute entreprise privée ou le leadership est déficient, la fonction publique se sent livrée à elle-même. Beaucoup d’agents publics sont les premiers à percevoir l’inutilité de certaines tâches bureaucratiques ou la mauvaise adéquation entre les besoins en service public et les allocations de ressources. L’ennui au travail (le « bore out ») est un nouveau défi qui touche de plein fouet notre administration. Les entreprises ne sont pas immunisées : elles doivent sans cesse innover pour fidéliser les jeunes talents d’autant plus vite que depuis quelques années, la génération Y, les « Millennials » en quête perpétuelle de reconnaissance, de responsabilités et de challenge à relever n’hésitent plus à fuir les entreprises qui ne tiennent pas ces promesses. D’après une étude Deloitte, deux tiers des jeunes souhaitent changer d’entreprise dans les 4 ans. L’administration doit être capable d’attirer ces talents. Elle doit pour cela être plus souple, mieux accepter les allers-retours entre public et privé.
Depuis 2007, toutes natures d’absence confondues, l’absentéisme a augmenté de 32 % au sein de la fonction publique hospitalière, passant de 30 jours en 2007 à 40 jours en 2015. Dans les collectivités territoriales, c’est encore plus flagrant : elles ont enregistré 72 arrêts pour 100 agents, et 44 % des agents ont été absents au moins une fois dans l’année. Mais ce n’est pas une fatalité.
Le rapprochement de l’égalité de traitement entre public et privé par l’instauration d’un délai de deux jours de carence dans le public (contre trois actuellement dans le privé) permettra de diminuer mécaniquement le taux d’absentéisme. Le jour de carence instauré sous Nicolas Sarkozy – puis supprimé par François Hollande – fut une véritable réussite permettant de constater lors de sa mise en œuvre le recul de plus de 40 % en un an des arrêts d’une journée en maladie ordinaire dans les fonctions publiques territoriale et hospitalière. Les arrêts de deux et trois jours avaient aussi baissé (18 % et 12 % dans la territoriale ; 32 % et 16 % pour l’hospitalière). Le gouvernement vient de décider du rétablissement d’un jour de carence, c’est un bon début.
Un salarié heureux serait deux fois moins malade, six fois moins absent, ou encore neuf fois plus loyal
Salarié heureux. Mais parallèlement et simultanément il faut aussi s’attaquer aux causes du mal. L’exemple de la réforme de la sécurité sociale belge et de son Chief Happiness Officer est à ce titre particulièrement inspirant. Des études mettent en exergue le lien positif entre le plaisir au travail et la performance : un salarié heureux serait deux fois moins malade, six fois moins absent, ou encore neuf fois plus loyal. Pour cela il faut s’attaquer aux conditions de travail, à la modernisation nécessaire (mise en place de télétravail, etc.), sans oublier la nécessité de donner du sens aux missions des agents et de réallouer les effectifs en fonction des besoins.
5. La diminution du nombre d’agents publics n’est pas une fin mais une conséquence d’un meilleur management de ces derniers et une opportunité de réduire la dépense publique.
Des fonctionnaires mieux managés, des missions clarifiées et la mise en œuvre d’une politique de bien être au travail conduiront mécaniquement à la diminution du nombre d’agents publics nécessaires. Le non-remplacement des départs en retraite est une opportunité simple permettant de calibrer les effectifs en fonction de cette baisse constatée.
Première variable d’ajustement : les départs à la retraite. La tendance devrait s’accélérer avec le départ à la retraite des baby-boomers, nous ne devons pas manquer cette opportunité de réorienter les flux.
Il vaut mieux moins de fonctionnaires mais des fonctionnaires mieux rémunérés, mieux considérés, et mieux managés
Seconde variable : le statut de contractuel doit devenir la norme dans le recrutement des agents publics et la titularisation l’exception, réservée aux missions régaliennes de l’Etat, permettant ainsi une plus grande flexibilité des effectifs.
Troisième variable : s’assurer que tous les fonctionnaires travaillent 35 heures – et non 32 heures comme c’est parfois encore le cas- pourrait aussi être une mesure de justice offrant un levier efficace.
Enfin, osons la mise en place de mécanismes incitatifs comme au Canada qui a instauré une prime de départ volontaire : cela permettrait sans doute à des agents qui rêvent de quitter la fonction publique d’avoir les moyens de construire un nouveau projet de vie. Comme souvent constaté dans le privé, l’inconvénient de ce type de mesure est que ce sont souvent les meilleurs qui s’en vont. Le gouvernement semble vouloir aller dans cette direction, c’est une bonne chose mais comme toujours c’est un tout et ne faire qu’une petite partie de la réforme ne permettra pas d’atteindre les objectifs et les résultats escomptés.
Efficience. Une fonction publique mal organisée, mal rémunérée et peu motivée, peut échouer dans sa mission. Et c’est bien parce que nous voulons protéger et améliorer l’efficience du service public que nous nous devons de le réformer. Les 120 000 départs volontaires en 5 ans promis par le gouvernement, avec seulement 1 600 prévus en 2018, sont équivalents au volume qu’on peut escompter simplement par la mise en place d’un jour de carence. Cela signifie donc que le gouvernement manque cruellement d’ambition et n’entend nullement s’attaquer au fond du problème. Il ne faut pas moins d’Etat mais mieux d’Etat, il vaut mieux moins de fonctionnaires mais des fonctionnaires mieux rémunérés, mieux considérés, et mieux managés.