TRIBUNE – La vice-présidente des Républicains se dit «foncièrement proeuropéenne», mais refuse une Europe fédérale et veut défendre une position «réaliste» et «raisonnable».
Il y a cinquante-cinq ans, le général de Gaulle et le chancelier Konrad Adenauer signaient le traité de l’Élysée. Plus qu’un acte destiné à sceller la réconciliation franco-allemande et le renforcement des liens de coopération entre les ennemis d’hier, le texte affirmait le principe d’une souveraineté respectueuse des États-nations, six années après l’entrée en vigueur du traité de Rome. Surtout, il instituait l’axe franco-allemand comme le moteur des politiques européennes communes au sein d’un noyau d’États souverains au passé commun.
Pourtant, j’ai cru, comme d’autres, que le gouvernement – convaincu de la nécessité de redonner des marges de manœuvre aux entreprises pour favoriser l’investissement et l’emploi – recherchait à présent une certaine stabilité normative et fiscale, condition de la prise de risque et donc, in fine, de la reprise économique. Mal m’en a pris puisque le Premier ministre a récemment annoncé, avec le soutien d’un certain nombre de présidents de région, la création d’une nouvelle taxe destinée « à lutter contre le chômage ». Elle sera a priori assise sur les mêmes bases que la taxe foncière et touchera aussi bien les ménages que les entreprises. De leur côté, les départements, qui n’ont plus de compétence en matière économique, ne subiront aucune baisse de leur budget. Preuve supplémentaire, s’il en fallait, que taxes et impôts sont plus simples à créer qu’à supprimer.
Français et Allemands travaillaient ensemble à construire un projet commun en matière d’intégration économique, mais aussi de sécurité et de défense. Plus d’un demi-siècle plus tard, force est de constater que le projet énoncé par de Gaulle et Adenauer reste inachevé. Le rêve d’une politique étrangère et de sécurité commune a explosé en même temps que la menace terroriste et le retour aux égoïsmes nationaux. La crise migratoire a mis en lumière les fractures profondes qui existaient entre pays voisins, que l’euphorie des entrées successives des nouveaux pays membres avait masquées. Enfin, que dire du processus de décisions communautaires, long et complexe, qui n’a jamais semblé aussi inadapté à la période dans laquelle nous vivons?
En voulant construire l’Europe, Emmanuel Macron oublie les peuples européens, et en premier lieu le peuple français. Il rêve d’une Europe de Schengen élargie aux Balkans, qui aille vers toujours plus de fédéralisme.
En voulant construire l’Europe, Emmanuel Macron oublie les peuples européens, et en premier lieu le peuple français. Il rêve d’une Europe de Schengen élargie aux Balkans, qui aille vers toujours plus de fédéralisme. Je suis foncièrement proeuropéenne et libérale, mais je refuse catégoriquement une Europe fédérale. Ce projet ne ferait que renforcer la méfiance des peuples à l’égard de l’Europe et de nos élites et nuirait à nos intérêts tout comme à notre liberté.
C’est en prenant en compte les spécificités de chaque pays membre, et en les respectant, que nous pourrons créer une Europe plus forte: non en les dissolvant dans un grand tout européen.
Nous sommes nombreux à penser que ce projet est une impasse, pour l’Europe et pour la France. D’une part, les peuples européens ont montré ce qu’ils pensaient de ce projet européen, dernièrement par le vote britannique en faveur du Brexit. D’autre part, cette vision d’une Europe élargie et toute-puissante irait directement contre la souveraineté française. Je ne veux pas d’une Europe qui se construise contre les États.
Pour autant, nous sommes tout, sauf eurosceptiques. Je crois en l’Europe, j’aime l’Europe, et je refuse l’euroscepticisme mortifère incarné par Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Il est totalement anachronique à l’heure de la mondialisation où la France doit s’adosser à l’Europe pour trouver sa place entre les États-Unis, la Chine, la Russie et les pays émergents.
Nous, Les Républicains, derrière Laurent Wauquiez, devons proposer une alternative crédible. La France et l’Allemagne doivent être à la manœuvre d’une relance de l’Europe. Cette ambition pourrait s’incarner, d’une part, dans une Union européenne qui valorise les États-nations, d’autre part, dans des réalisations concrètes, que ce soit en matière de défense, d’industries, d’énergie et de nouvelles technologies. C’est en prenant en compte les spécificités de chaque pays membre, et en les respectant, que nous pourrons créer une Europe plus forte: non en les dissolvant dans un grand tout européen.
Il faut d’abord accepter que l’Union à vingt-sept ne fonctionne pas – et ne pourra pas fonctionner. Nous sommes simplement trop nombreux, avec des intérêts trop divergents
Il faut d’abord accepter que l’Union à vingt-sept ne fonctionne pas – et ne pourra pas fonctionner. Nous sommes simplement trop nombreux, avec des intérêts trop divergents. L’idée d’une Europe à plusieurs vitesses est aujourd’hui la solution la plus viable si notre continent ne veut pas être emporté par le flot des populismes et des nationalismes.
Les succès des partis ultraconservateurs en Pologne et en Hongrie, le Brexit et la résurgence des mouvements nationalistes en Allemagne et en Autriche, doivent nous inciter à envisager une autre construction européenne. Il faut revoir l’architecture de l’Union européenne pour aboutir à une Europe autour de trois cercles: d’abord un noyau dur d’États prêts à aller plus loin en commun, puis la zone euro, puis un troisième cercle qui se construirait autour d’une zone de libre-échange.
Il faut ensuite que l’Europe apparaisse comme une solution, et non un problème. Je crois beaucoup à une Europe qui facilite la vie de ses citoyens et de ses entreprises. Mon ADN est celui d’une chef d’entreprise, et c’est à eux que je pense quand je vois le fatras de normes, imposé par l’Europe, qui pèse sur nos entreprises. Il est urgent que l’Europe les simplifie, qu’il soit facile d’être une entreprise qui marche dans l’Union européenne. Que dire, par exemple, de la politique de concurrence de l’Union européenne, qui empêche la constitution de champions européens? Il faut remettre à plat ces politiques, voir ce qui marche et ce qui pourrait être amélioré.
Je suis favorable à des initiatives fortes en faveur de l’investissement par des Européens, pour des Européens. Un «Buy European Act», qui réserverait certaines commandes publiques à des entreprises européennes.
En parallèle, je suis favorable à des initiatives fortes en faveur de l’investissement par des Européens, pour des Européens. Un «Buy European Act», qui réserverait certaines commandes publiques à des entreprises européennes, sur le modèle du «Buy American Act» aux États-Unis, serait un vrai signal en ce sens.
«Soyons réalistes si nous voulons sauver l’Europe!», voilà le remarquable cri d’alarme d’Édouard Balladur dans une tribune de 2014. Cinquante-cinq ans après le traité de l’Élysée, et quatre ans après cette tribune, charge à nous de faire porter une voix de la raison sur l’Europe.